J’adore ma mère
Le jour où
j’annonçai à ma mère que j’avais enfin rencontré l’homme de ma vie et que je
déménageais à New York, la seule chose qu’elle dit fut : « Comme
c’est beau d’être si amoureux ! » Et elle se remit à l’anglais.
Quand les
Américains s’aperçoivent que vous êtes Français (ça se fait assez vite, cf.
message sur ce blog, « I detect an accent »), ils veulent
immédiatement partager leur enthousiasme en vous demandant si vous
connaissez Nadine et Michel
( ???) S’ils ont eu l’immense bonheur
d’être déjà allés en France, ils vous citeront les villes qu’ils ont visitées,
et le grand jeu des devinettes commence. Leur prononciation de Paris est
relativement compréhensible, mais quand il s’agit de dire Latouille Lentillac
ou Montigny le Bretonneux, c’est plus difficile pour eux, forcément.
Mais revenons à
ma mère. Elle rencontra récemment un
couple de nos « amis » qui pratiquent ce que mon psy de mari appelle
–et j’y reviendrai plus longuement, la « French transference », i-e
une admiration quasi idiote pour tout ce qui est français (hum… pourquoi quasi,
d’ailleurs…) Lors de cette rencontre, la
femme s’empressa de dire à ma mère qu’elle avait tout récemment visité « Qyuienvriehrezehce »
et qu’elle en avait adoré les jardins. Tête de ma mère, incrédule : quel pouvait bien être cet endroit au
nom si mystérieux ? Bien que plus
habituée à déchiffrer ces borborygmes, j’étais moi-même dans le flou le plus total. L’Américaine répéta, certes un peu
différemment « Qyuienvriehrezehcy », mais nous ne réagissions
toujours pas, et le temps passait. Au
bout du troisième essai, le visage de ma mère s’illumina : « Ahhhhhhhhhhh !!!!
Giverny ! Yes, it is
beautiful ! » Trop tard, le mal était fait, la vexation s’inscrivait
nettement sur le visage de mon invitée, et ma revanche, après tant d’années
d’humiliation, était totale. Je me réfugiai dans la salle de bain pour que
pour rire ne s’entendît pas, et plus tard, embrassai ma mère avec
effusion.
C’est beau, la France
Suggestion
musicale du jour : Manuscrit de Montpellier, S’on me regarde, Anonymous 4